dimanche 25 avril 2010

La gare.

"Tac tac ... tactac" bruit sourd que faisaient les roues de ce vieux train sur ces anciens rails, un métronome mal réglé qui m'empêchait de dormir, ce n'était pas le bruit en tant que tel qui m'embêtait, mais ce dérèglement, et qui d'autres que moi cherchait à entendre un rythme parfait émanant des roues d'un train.

Mon train était plein, des hommes, des femmes, des enfants et quelques poules qui arrivaient à montrer tête de couffins mal fermés, je regardais cette foule autour de moi, tous parlaient, jacassaient, gesticulaient et moi tapis dans mon silence, ils bougeaient autour de moi, et moi je les observait, un regard non loin de celui que j'ai parfois envers mes petits hamsters du laboratoire, ces hamsters qui me faisaient de la peine, qui ne se souciaient pas de ce qui allait leur arriver, ou peut être qu'il s'en doutaient mais n'y accrochaient nulle d'importance.

Plus le train avançait, plus leur bruit augmentait, un instinct naturel de vouloir se faire entendre, j'ai voulu suivre l'histoire de ma voisine, qui parlait de l'amie de sa voisine qui vient de se fiancer; mais que bon dieu elle a à en discuter ? L’autre derrière moi s'acharnait sur son équipe préférée, du bla bla bla, que du bla bla bla, leurs histoires pathétiques me mettaient encore mal à l'aise, me rendait encore seul, seul à pouvoir vivre une solitude dans une foule de semblables.

Et j'ai pris la fuite, en me penchant sur la fenêtre à ma gauche, écrasant sans le vouloir deux cafards qui apparemment voulaient échapper à mon coude, j'ai mis ma tête sur le verre incassable jonché de tentatives de brisure, et je me suis mis à regarder le paysage défiler, psychédélique, avec en prime, les vibrations du verre qui résonnait dans ma tête.

Je ne puis dire pour combien de temps j'étais à demi-conscient dans cette position quand un cri strident me fît réveillait, cri suivit d'une voix semi humaine semi simiesque qui commença à débiter des phrases inintelligibles dans les haut-parleurs du plafond, des phrases dont je n'ai compris mot, mais que tout le monde autour de moi semble d'accord sur leur signification; ils se sont tous levés, et ont commencé un pèlerinage vers la porte de sortie dans leur vacarme qui n'en finissait pas tout en se tassant, en se poussant comme s'ils étaient certains que le dernier serait empalé.

Et le train finit par s'arrêter, une gare, la gare de je ne sais quoi, il fallait attendre la correspondance, mon wagon s'était vidé, tous se sont volatilisés dans leur brouhaha, et leur acharnement à sortir, et je commençait à m'assoupir, quand la correspondance est arrivée sur la voie gauche, un train aussi plein que fût le mien s'est arrêté, et à mon niveau, une fenêtre, un visage et des yeux plus noirs que la nuit me regardaient.

Elle était dans sa trentaine, aussi triste que moi, aussi seule que moi, avec une foule derrière elle qui se tassait, deux mètres et deux plaques de verre incassable n'ont pas empêché nos âmes de se rapprocher, nos yeux de s'embrasser, nos mains de s'enlacer, le tout sans bouger, on n'est plus seul quand on est à deux, nos coeurs se mirent à parler, on était comme debout entre les deux masses de ferraille et je disais:

- Je t'ai cherchée partout.
- Et moi je pensais que tu n'as jamais existé.
- Pourtant je suis bien la devant toi
- Arrête de parler, ne fais pas comme eux, embrasse moi.

J'ai fait un pas en avant, j'effleurais sa robe satinée avec ma chemise, j'ai passé ma main derrière son dos, et avec une délicatesse divine, en tournant légèrement ma tête vers la droite, j'approchais mes lèvres des siennes, trains, rails, gare, foule, tout a disparu, on était dans un champ de maïs, hauts de deux mètres, personne ne nous voyait, personne pour nous juger, rien que l'extase de nos lèvres qui commençaient à se toucher, à se palper dans un silence religieux.

Je sentais son souffle chaud sur ma joue, et sa sève au goût de la framboise sucrée qu'elle essuyait sur ma bouche, elle tiraillait mes lèvres, et je mordillait les siennes, et nos langues dansaient une valse, anarchique, sans musique, tout en silence, avant de partir en exploration de chaque recoin de l'autre, elles se poussaient aux portes soudées ouvertes glissant sous les tenailles d'émail pour aller goûter dans ces cavernes encore inconnues leur eau de vie.

Nos nez n'arrêtaient pas de se frotter, l'un contre l'autre, dessinant des arabesques sur nos joues, au rythme de nos bouches qui s'ouvraient et se fermaient avec acharnement dans des tentatives infructueuses de happer le contenu de l'autre et d'attraper ses langues furtives et délicieuses.

Et dans ma plus profonde amertume, le cri strident se fît encore entendre, donnant fin à notre étreinte, elle m'a poussée sans dire mot, j'ai vite posé un baiser sur son front, avant de remettre le mien sur la vitre, toujours incassable, regardant à travers elle ce train figé pendant que le mien prenait départ, pendant que ma larme murmurait des adieux à une semblable qui apparût non loin d'elle.


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