mardi 27 avril 2010

Grosse, vieille et laide.

Dorra était ma voisine de palier, divorcée depuis au moins 10 ans, dans sa soixantaine,  et qui débordait de gentillesse malgré l'acharnement de la terre sur elle, son mari alcoolique né, ne l'a quittée qu'après lui avoir aspergé le visage d'eau bouillante, en conséquence d'une dispute dont elle n'avait jamais voulu parlé, elle a refusé de porter plainte, mais a été catégorique sur le divorce.

Dorra défigurée, a plongé dans la boulimie et a  gagné du poids, énormément de poids, quand je me suis installé dans mon nouvel appartement il y'a trois ans, elle était déjà bien ronde, enfin gravement grosse, elle ne pouvait techniquement plus monter les escaliers sans prendre quelques pauses, et de toutes façons, il n'y avait que moi qui parlais avec elle, les autres voisins ont vraiment peur d'elle, elle leur semblait bizarre, retirée, grosse, vieille et très laide.

Depuis que je l'ai connue, j'ai étais chez elle à maintes reprises, elle étais gentille, paisible, délicate, elle avait une voix de rêve, quand elle parlait, rien que de perles ne sortaient de sa bouche déformée, je l'aidais en lui faisant parfois ses courses, contre un petit thé de temps en temps, et quelques soirées à regarder les VHS que je lui apportais, j'aimais bien sa compagnie, elle avait un grand esprit, de grandes connaissances, une grande expérience humaine, et sa bonté de coeur n'avait rien d'égal, elle n'en voulait à personne et ne tentait jamais de mettre son poids sur autrui, je l'écoutais pendant des heures quand elle me parlait poésie, et elle m'écoutais des heures à divaguer sur tout et n'importe quoi.

Ma vie a basculé le jour où ma fiancée m'a plaqué, elle n'a pas réussi son bac, et la poisse portait mon prénom, j'ai été déboussolé, et dans le bar du coin tout mon argent j'ai vidé, je suis rentré en titubant, empestant l'alcool à des kilomètres à la ronde, et je n'ai pas réussi à ouvrir ma propre porte, Dorra qui a entendu mes manoeuvres vaines a ouvert sa porte, comprenant la situation elle m'a demandé de la rejoindre, elle était affolée pour moi, personne n'a jamais été aussi paniqué pour moi, je suis allé vomir dans ses toilettes, avant d'aller m'étendre sur le canapé.

Dorra m'a rejoint avec un café turc, qu'elle venait de me faire arrosé d'eau d'oranger, sans sucre, et s'est assise à côté de moi, en prenant ma tête sur sa cuisse, ses yeux me regardaient, et il n'y avait ni jugement, ni pitié, ni colère, je n'ai pu voir que de la tendresse, de la pure tendresse, et elle n'a rien dit, détournant ma tête d'elle, j'ai commencé à parler, à raconter comment mon coeur est brisé, comment mon âme est consumée par cette séparation, et elle, elle me regardait sans brancher, en passant de temps en temps tendrement sa main dans ma tignasse avant de rompre son voeu de silence et dire :
- Moi, tant que je vis, je serais toujours à tes côtés.
Même si la phrase en tant que telle était trop banale, le timbre de sincérité qu'il y'avait dans sa voix m'a ému, j'ai arrêté de chialer sur mon sort, et je me suis retourné sur mon dos, en plus de la tendresse, ses yeux me suppliaient, sa main n'a pas arrêté de me décoiffer, et le courant électrique a coupé court à ces regards bizarres, les messieurs de la compagnie d'électricité ont décidé de se joindre aux forces de l'ombre.
- "Je vais aller chercher une bougie." a t-elle dit.
- Non, reste.
Je me suis senti en sécurité dans le noir, j'étais avec elle sans être avec elle, dans ce noir son image s'est effacée, et il ne restait que sa voix, que sa présence, je me suis assis, et je me suis approché d'elle, elle ne bougeait pas, j'entendais sa respiration lente et sentais l'odeur de son parfum au jasmin dont elle était friande, pris d'une irrésistible envie de l'embrasser, je me suis mis à genoux sur le canapé, mon torse contre son épaule, j'ai tourné sa tête avec mes deux mains, et je l'ai embrassée, sur la joue, sur le cou, sur le front, puis, sur la bouche, et je m'y suis attardé, cela faisait trop bizarre, mais divin, ces lèvres déformées sur les miennes,  ce corps énorme collé à moi, et elle toujours silencieuse, limite passive, mais ne montrant aucun gêne.

Et tout s'est dégénéré, quand elle s'est décidée de bouger, mes baisers alcoolisés ont dépoussiéré des pulsions considérées oubliées, elle m'a pris comme une petite poupée et m'a serré contre son énorme poitrine et elle m'embrassait partout, mon cerveau était totalement vide, j'ai oublié ma misère, j'ai oublié mon existence, je m'étais blotti dans un champ de baisers tendres, tenu par des bras de velours collé sur un coeur qui me désirais, ce n'étais pas l'alcool, c'étais autre chose que je n'ai jamais connue.

Elle s'est arrêtée, et m'a demandé de me lever, et dans l'obscurité elle m'a entrainé par la main dans sa chambre, je sentais ses mains me déshabiller, j'ai essayé d'en faire de même mais en vain, rien que de dégrafer son soutien-gorge m'aurait pris une éternité, elle n'a pas hésité à m'aider, et à m'allonger sur le lit, je la sentais parcourir mon corps avec ces mains, comme si elle essayais de me masser doucement, avant d'attraper mon amis intime par les deux mains, et commencer je ne sais quel rituel agréable dessus, rituel doux langoureux envoyant des sensations voluptueuses partout dans mon corps, avant d'arrêter et de me chuchoter dans l'oreille qu'elle finit par mordiller : "Je vais aller chercher du miel".

Dés qu'elle est revenue, elle enveloppa le poisson encore frétillant de miel , et s'est couchée sur le dos à côté de moi, j'ai attendu quelques instants avant de me décider à sauter le pas, en ce moment je la voulais plus que je n'ai jamais voulu une femme, je me suis mis en dessus d'elle, et quelques tentatives plus tard notre union est faite, sa corpulence ne facilitait pas les choses, mais j'ai réussi, on a réussi, le miel aidant je glissait comme sur une patinoire avec ma partenaire, elle tenait sa poitrine qui voulait faire la malle à chaque secousse, et moi je poussais, j'avais mal au dos par l'inconfort de la position mais je continuais et me retenais, j'avais trop envie qu'elle éclate de bonheur, j'entendais ces gémissements qui augmentaient avant qu'elle ne lâche poitrine pour m'attraper de ses deux mains en expirant trois ah successifs en crescendo, et c'est à ce moment la, que je me suis moi aussi lâché, et cela n'avait rien à voir avec les amourettes de jeunesse et les divers jeux solitaires devant des magazines de faible teneur en vertu, c'était une explosion de plaisir prenant naissance du bas ventre et remontant mon torse jusqu'à ma tête pour y entrer en résonnance avec mes contractions involontaires expulsant mon essence d'homme.

J'ai dormi cette nuit la chez elle et le matin, en me réveillant bien avant elle, en la regardant, je ne la voyais plus comme avant, j'avais un mal de tête à rendre fou, je lui ai quand même, à sa grande surprise, apporté son petit déjeuner au lit.

On a passé deux mois en amoureux clandestins, avant que je ne me décide de me marier avec elle, elle refusa au début, mais finalement on a signé notre acte de mariage, et j'ai vécu avec elles les trois plus belles années de ma vie et de la sienne, tendresse, sexe torride , amour, sympathie, discussions enrichissantes, des folies, des soirées ciné, la totale, on était dans un microcosme séparés du reste du monde, je m'en tapais à quoi pensait les autres, et ces voisins avec leur yeux qui louchaient à notre vue et elle a perdu du poids sans perdre ses jolies rondeurs.

Un soir, elle me semblait un peu triste, elle m'a parlé d'enfants, elle n'en a jamais eu, et ne voulais pas que se soit aussi mon cas, elle m'a dit que je pouvais la quitter si j'en voulais, je n'ai pas répondu, je lui ai souris, et je l'ai prise au lit, et on a fait l'amour  avant qu'elle ne s'endorme avec son demi-sourire.

Le matin, j'ai dû appeler le médecin, rupture d'anévrisme disait t-il, elle est partie sans crier garde, heureuse, mince, jeune et jolie.


Repose en paix ma petite Dorra.

5 commentaires:

  1. Est ce l'image d'une mère? c'est beau comme histoire mais ça pose beaucoup de questionnement...

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  2. L'idée de la mère est effectivement existante, un homme n'aime pas /ne se marie pas pour le sexe, ceci est une abérration, il a besoin d'une amie, d'une mère, d'une confidente, d'une vraie dimension humaine.

    J'ai essayé de faire passer :
    - l'espoir : mieux vaut tard que jamais.
    - la perversité: on est pervers quand on est différent (sexuellement) des autres, mais ceci ne devrait pas faire de nous des exclus de la société, certaines perversités sont parfois belles.
    - le tissu amoureux : il peut se construire petit à petit, ou bien d'un coup suite à un regard, une phrase.
    - l'amour transforme le physique et le moral.
    - l'âme est la clé d'un vrai amour, d'un vrai bonheur.

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  3. Une histoire exceptionnellement sublime. Je suis émue et impressionnée... C'est fou, je ne saurais dire pourquoi je m'identifie à cette Dorra. Je pense que la défiguration et la laideur peuvent être ressenties de différentes manières... Et que la beauté, le désir et le bonheur sont souvent ailleurs... Là où on s'y attend le moins..
    Magnifique. Merci Gar. Tu es un artisan des sensations toi :)

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  4. Merci pour m'avoir lu, effectivement tout est relatif, il va sans dire que le temps n'est pas égal devant homme et femme, ami des hommes, traitre pour les femmes, mais, l'espoir, le bonheur, la vraie vie en sont totalement indépendants et s'en moquent royalement.

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  5. "- Moi, tant que je vis, je serais toujours à tes côtés."
    Elle l'avait souhaité et exprimé. Il lui avait réalisé son voeu en l'épousant !
    Elle est partie heureuse. C'est ce qui peut arriver de plus beau à une personne !
    Une histoire qui réunit tous les sentiments possibles, vraiment magnifique et troublante à la fois !
    Bakhta

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