mercredi 2 juin 2010

La buée.

La pluie battait son plein dehors, et le vent criait à tue-tête à travers le carreau brisé de la fenêtre de notre cuisine, carreau que Monsieur ne s'est jamais dédaigné de réparer, et dont toute allégation pourrait conduire à une chamaille dont je me passerai.
Je venais de mettre mon petit bout au lit et couru me réchauffer à côté de ce monsieur étendu dans son canapé favori tout en tenant son grand journal et pompant avec les pieds l'unique et dérisoire chaleur dans cette demeure générée au prix fort par notre minuscule radiateur électrique.
J'ai allumé le poste de télévision comme toute femme qui se respecte mais rien n'y fait, l'orage dehors fait faire des pirouettes acrobatiques à ma parabole, rendant la réception impossible; Monsieur montra quand même par un léger grognement son mépris à l'égard de mes tentatives infructueuses de trouver une chaine fonctionnelle, j'ai battu retraite et éteignis la télé.

Je me suis accolée à lui, regardant les pages de sport dont il ne se lasse jamais, et qui à moi n'évoquaient rien, il bougea un peu signe distinctif de sa volonté que j'aille m'assoir ailleurs, signe que j'ai totalement ignoré.
Il lisait, lisait en silence, toutes ces colonnes, du texte, des chiffres, des tableaux, des résultats, des conneries et je ne sais ce qui m'a prise pour lui lancer en désignant d'un doigt un footballeur : "C'est lui Messi  ?" il parût brièvement perturbé, mais sans dire mot, il hôcha négativement la tête.
"Sonia m'a dit hier, que son fantasme c'était lui ! " ai-je ajouté avant d'extraire de ma bouche un court rire niais.

"Elle a vraiment des fantasmes bizarres dont je t'en ferais abstraction, je sais, elle n'est pas du genre à tromper son mari, mais elle nage tout le temps dans ses fantasmes"
Je me suis tue, attendant une réaction de sa part qui ne vint jamais, avant de continuer de plus belle

"Moi, par exemple, j'ai des fantasmes, mais c'est plutôt le lieu et le moment qui m'interessent, tu vois par exemple, j'aimerais bien qu'on se retrouve moi et toi coincés dans un ascenceur ce qui est assez classique me dirais-tu, ou mieux encore qu'on se fasse du bien dans ton bureau, avec la peur que quelqu'un nous y suprenne"

Il hôcha la tête positivement, signe ininterprétable au vu de ce que je venais de dire, j'ai fermé les yeux, jeté ma tête en arrière, et j'ai continué

"Imagine, qu'on sorte ensemble, là maintenant, tout de suite, sous ces trombes de pluie, qu'on aille au milieu de nulle part, dans un parking d'hypermarché, dans une rue dépeuplée,  qu'on s'embrasse comme ces deux amants ne le fûrent un jour, des baisers furtifs avec toute cette peur qui nous envahit, peur d'être vus, d'être découverts, et avec toute cette passion qui nous allumait, je sens déjà mon visage qui rougit, et tes mains se baladant gracieusement sur mon corps, au dessus de toute cette masse de vêtements avant qu'elles ne commencent à se frayer chemin dessous, là où personne ne s'est jamais aventuré.

Mes gémissements seront masqués par le vacarme de la pluie sur le toit métallique de la voiture, et je te demanderai sûrement de t'arrêter, mais tu ne dois surtout pas m'écouter, on passera comme on le peut sur la banquette arrière, et tu porteras mes mains sur cet objet durcissant sous le tissu bleu de ton jeans, je n'oserai pas regarder où mes mains tremblantes se délectent, tu déboutonneras tout ce que tu peux déboutonner, et tu te balladeras sur mes cuisses sous ma petite jupe que j'aurais porté pour l'occasion, et moi j'attendrais le gros méchant loup encore caché qui n'attend que l'éclair d'une fermeture pour aller mordre au fond de moi.

Tu m'adosseras sur le banc, et tu m'embrasseras comme tu veux, là où tu peux, je ne verrai que ta tête que je tiendrais par les mains, farfouillant mon corps à moitié dénudé et sentirait  ton appendice se faufilant dans ma tanière, qui deviendra sienne dans une explosion de sensations indescriptibles, sensations dessinées par les bouts de mes doigts sur la buée de la vitre derrière moi.

Et là, encore hâletante, ta tête remontera au niveau de la mienne, et tu embrasseras le bonheur sur mon visage en me murmurant tes plus beaux mots d'amour, comme jadis, tu faisais ."

Je ne saurais peut-être jamais à quel moment j'ai arrêté de parler, mais quand j'ai ouvert les yeux, j'étais tapie dans ce canapé, seule, il était deux heures du matin avec des pieds gelés parceque le salaud en allant se coucher n'a surtout pas oublié  d'emporter avec lui le radiateur.




4 commentaires:

  1. Aaaaaah, toute les femmes ont la tête dans les nuages et tous les hommes sont des......

    RépondreSupprimer
  2. Arrivée à je ne sais quelle ligne, tellement dans le coeur du film, sourire, j'ai failli crier arrêtez, arrêtez je suis... très émotive. Mais arrivée à la fin, curieuse comme je suis, j'espérais à l'ouverture de ses yeux, à genoux son homme se trouvait...!
    Bakhta

    RépondreSupprimer
  3. @illusions: Ah ces méchants hommes :D, mais je pense que tout est histoire de moment, il faut juste synchroniser les bons moments.

    @Bakhta: Sincèrement je l'aurais voulu aussi, mais le sort est ironique parfois, et on ne peut dire qu'elle a passé une mauvaise nuit quand même, celui qui a raté tout c'est lui finalement, préferer son journal au partage d'un moment émotif avec sa femme est déjà un bon chatiment pour lui.

    RépondreSupprimer
  4. AH lala la buée qui couvre les vitres de la voiture un jour pluvieux: indispensable pour l'amour en plein jour au coeur d'un parking animé :)))
    Le tas de chair aux atouts potentiels inexploités par manque d'ardeur, ça aussi je connais trop bien.
    Merci pour cet intermède à l'humour relativisant. Mieux vaut en rire n'est ce pas :)

    RépondreSupprimer