Mon fusil, rouillé, jeté dans un coin prés de la cheminée me faisait toujours de la peine, depuis que je me suis mis à l'élevage, plus besoin d'aller chasser, enfin, l'envie exista toujours, la lassitude est parfois même mortelle.
Je le regardais, et j’eus pitié de lui, j'ai pris un chiffon doux, mon fusil sur les jambes, un peu d'huile, petit astiquage, petit essayage et ça fonctionne encore, après toutes ces années, il peut encore tirer, j'ai bien fait gaffe de ne pas le montrer au cheptel la panique y a toujours régné , mais me voyant brandissant mon fusil c'est la pagaille qui va s'instaurer.
Et c'est entre ces arbres, que j'ai vu un mouvement, peur de rater mon coup, j'avança calmement, mes instincts de chasseur sont bien revenus, j'avais complètement oublié mon élevage, moi et mon fusil ne faisant qu'un, et j'ai continué à avancer, et là , depuis ce buisson mouvementé, ce haussa une tête, une biche était entrain de mâchouiller tranquillement des pousses vertes, j'observais pendant un moment la grâce avec laquelle ces feuilles disparaissaient dans sa bouche, des feuilles tendres, dans une bouche si tendre, j'étais très perturbé, même mon fusil que je brandissait, touchait terre, et pendant que j'entendais les autres tirer à droite et à gauche, moi je regardais une biche ... grignoter.
Ceci pouvait durer une éternité, si elle n'avait levé tête et me regarda, ces yeux, aux longs cils, ensorcelant, enivrant firent presque arrêter mon coeur, elle les clignota langoureusement, avant de faire quelques sauts prenant la direction de la rivière, et je l'ai suivie, même si la rivière est une zone marécageuse et je n'ai jamais aimé m'y aventurer.
Elle sautillait allégrement d'un buisson à un autre, et je la suivait, s'arrêtant de temps en temps pour me jeter un coup d'oeil paralysant, mes pieds commençaient à s'enfoncer dans le marécage, mais je ne m'en souciait pas, et une cabane en bois est apparue devant moi, ma biche me regarda longuement, avant d'y entrer.
Elle était maintenant coincée, c'étais trop facile, tirer une biche dans une cabane, c'était trop facile, mon petit doigt m'a quand même recommandé de faire un peu le tour de la cabane, ce que je fis, il y'avait une fenêtre à l'arrière, je m'en suis approché calmement et regarda d'un oeil, et un sentiment d'évanouissement m'a envahi.
Ma biche était là, devant la porte, elle tenait avec ces petites mains un Fass 90 dernier modèle visant l'entrée, attendant mon apparition pour me déchiqueter, et sur les murs de la cabane, des tableaux de chasse, des massacres sont alignés des têtes de chasseurs empaillés avec leur petit fusil raccroché au cou, il y'en avait une centaine, mais il y'avait aussi assez de place , pour qu'elle y raccroche le mien, je l'entendais murmurer "Vas-y approche toi connard".
Je voulu alors m'éloigner en silence, mais je me suis trouvé assez embourbé, la vase arrivait à mes genoux, je faisais un effort surhumain pour m'échapper, mais quand je commençais essoufflé à sentir la terre ferme, ma biche était là, à me regarder, avec ses yeux, et cette petite touffe d'herbe dans sa bouche, avant de re-sautiller à l'intérieur de la cabane.
Avec un pied dans la vase, un pied sur terre ferme, la biche qui m'attend avec son fusil d'assaut devant la porte, mon élevage qui m'attend toujours que je revienne le nourrir je ne sus quoi faire, je restais figé là des jours, des semaines, des mois, à regarder d'autres chasseurs, entrer dans cette cabane, sans jamais en ressortir, et sans jamais pouvoir quand même prendre décision.